Je ne devais pas vous le dire ; Mes pleurs, plus forts que la vertu, Mouillant mon douloureux sourire, Sont allés sur vos mains écrire L’aveu brûlant que j’avais tu. Danser, babiller, rire ensemble, Ces jeux ne nous sont plus permis : Vous rougissez, et moi je tremble ; Je ne sais ce qui nous rassemble. Mais nous ne sommes plus amis. Disposez de nous, voici l’heure Où je ne puis vous parler bas Sans que l’amitié change ou meure : Oh ! dites-moi qu’elle demeure, Je sens qu’elle ne suffit pas. Si le langage involontaire De mes larmes vous a déplu, Eh bien, suivons chacun sur terre Notre sentier : moi, solitaire, Vous, heureuse, au bras de l’élu. Je voyais nos deux cœurs éclore Comme un couple d’oiseaux chantants Éveillés par la même aurore ; Ils n’ont pas pris leur vol encore : Séparons-les, il en est temps ; Séparons-les à leur naissance, De crainte qu’un jour à venir, Malheureux d’une longue absence, Ils n’aillent dans le vide immense Se chercher sans pouvoir s’unir. Sully PRUDHOMME