Puisque j'ai mis ma lèvre à ta coupe encore pleine;
Puisque j'ai dans tes mains posé mon front pâle;
Puisque j'ai respiré parfois la douce haleine
De ton âme, parfum dans l'ombre enseveli;
Puisqu'il me fut donné de t'entendre me dire
Les mots où se répand le cœur mystérieux;
Puisque j'ai vu pleurer, puisque j'ai vu sourire
Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux;
Puisque j'ai vu briller sur ma tête ravie
Un rayon de ton astre, hélas! Voilé toujours;
Puisque j'ai vu tomber dans l'onde de ma vie
Une feuille de rose arrachée à tes jours;
Je puis maintenant dire aux rapides années:
- Passez ! Passez toujours ! Je n'ai plus à vieillir;
Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées;
J'ai dans l'âme une fleur que nul ne peut cueillir!
Votre aile en le heurtant ne fera rien répandre
Du vase où je m'abreuve et que j'ai bien rempli.
Mon âme a plus de feu que vous n'avez de cendre!
Mon cœur a plus d'amour que vous n'avez d'oubli!
Victor HUGO