Non, sur nos tristes bords, ô belle voyageuse !
Sœur auguste des rois, fille sainte de Dieu,
Liberté ! Pur flambeau de la gloire orageuse,
Non, je ne t'ai point dit adieu !
Car mon luth est de ceux dont les voix importunes
Pleurent toutes les infortunes,
Bénissent toutes les vertus.
Mes hymnes dévoués ne traînent point la chaîne
Du vil gladiateur, mais ils vont dans l'arène,
Du linceul des martyrs vêtus.Dans l'âge où le cœur porte un souffle magnanime,
Où l'homme à l'avenir jette un défi sublime
Et montre à sa menace un sourire hardi ;
Avant l'heure où périt la fleur de l'espérance,
Quand l'âme, lasse de souffrance,
Passe du frais matin à l'aride midi ;
Je disais : "O salut ! vierge aimable et sévère !
Le monde, ô Liberté, suit tes nobles élans ;
Comme une jeune épouse il t'aime, et te révère
Comme une aïeule en cheveux blancs !
"Salut ! tu sais, de l'âme écartant les entraves,
Descendre au cachot des esclaves
Plutôt qu'au palais des tyrans ;
Aux concertes du Cédron mêlant ceux du Permesse,
Ta voix douce a toujours quelque illustre promesse
Qu'entendent les héros mourants."
Je disais. Souriant à mon ivresse austère,
Je vis venir à moi les sages de la terre :
"Voici la Liberté ! Plus de sang ! Plus de pleurs !
Les peuples réveillés s'inclinent devant elle.
Viens, ô son jeune amant ! Car voici l'Immortelle !..."
Et j'accourus, portant des palmes et des fleurs.
Victor HUGO