Je pensais que la destinée
Après tant d’injustes rigueurs,
Vous a justement couronnée
De gloire, d’éclat et d’honneurs,
Mais que vous étiez plus heureuse
Lorsque vous étiez autrefois,
Je ne veux pas dire amoureuse,
La rime le veut toutefois.Je pensais que le pauvre amour
Qui toujours vous prêta ses charmes
Fut banni loin de votre cour,
Lui, son arc, ses traits et ses armes,
Et ce que je puis espérer
En passant près de vous ma vie,
Si vous pouvez si maltraiter
Un qui vous a si bien servie.Je pensais, car nous autres poètes
Nous pensons extravagamment,
Ce que dans l’éclat où vous êtes,
Vous feriez, si dans ce moment
Vous avisiez en cette place
Venir le duc de Bouquinken
Et lequel serait en disgrâce,
De lui ou du père Vincent.
Je pensais si le cardinal,
Je dis celui de La Valette,
Voyait le brillant sans égal
Dans lequel maintenant vous êtes,
J’entends celui de la beauté,
Car au prix je n’estime guère,
Cela soit dit sans vous déplaire,
Tout celui de la majesté,
Que tant de charmes et d’appas,
Qui naissent partout sous vos pas
Et vous accompagnent sans cesse,
Le feraient pour vous soupirer,
Et que Madame le Princesse
Aurait beau s’en désespérer.
Je pensais à la plus aimable
Qui fut jamais dessous les cieux,
À l’âme la plus adorable
Que formèrent jamais les dieux,
À la ravissante merveille
De cette taille sans pareille,
À la bouche la plus vermeille,
La plus belle qu’on vit jamais,
À deux pieds gentils et bien faits
Où le temple d’amour se fonde,
À deux incomparables mains
À qui le ciel et les destins
Ont promis le sceptre du monde,
À cent appas, à cent attraits,
À cent mille charmes secrets,
À deux beaux yeux remplis de flamme
Qui rangent tout dessous leurs lois :
Devinez sur cela, Madame,
Et dites à qui je pensais.
Vincent VOITURE