Le présent se fait vide et triste, ô mon amie, autour de nous ; combien peu de passé subsiste ! Et ceux qui restent changent tous. Nous ne voyons plus sans envie les yeux de vingt ans resplendir, et combien sont déjà sans vie des yeux qui nous ont vus grandir ! Que de jeunesse emporte l' heure, qui n' en rapporte jamais rien ! Pourtant quelque chose demeure : je t' aime avec mon coeur ancien, mon vrai coeur, celui qui s' attache et souffre depuis qu' il est né, mon coeur d' enfant, le coeur sans tache que ma mère m' avait donné ; ce coeur où plus rien ne pénètre, d' où plus rien désormais ne sort ; je t' aime avec ce que mon être a de plus fort contre la mort ; et, s' il peut braver la mort même, si le meilleur de l' homme est tel que rien n' en périsse, je t' aime avec ce que j' ai d' immortel.Sully PRUDHOMME